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-Namir dépêche toi de te préparer. Nous devons aller voir ton père.

Je suis assis sur le fauteuil en faux cuir noir dans le salon de notre appartement de la rue Danjou.

A travers la porte ouverte du salon, je regarde au loin ma mère debout dans la cuisine face à la gazinière. Que mijote-t-elle donc ?

Je me redresse et traverse le salon en sa direction. Il fait beau. Je me sens si bien dans ce cocon ensoleillé qu’est notre appartement familial dans lequel nous n’habitons pourtant déjà plus depuis des années.

– Allez Namir, dépêche toi ! Tu vas nous mettre en retard.

Je ne cherche plus trop à comprendre les paradoxes de ma mère. Elle me fait des reproches tandis qu’elle reste tranquillement devant sa gazinière, à touiller son plat.

Et puis soudain, un doute

– Il est où d’ailleurs papa ?

– Tu fais l’idiot ou quoi ? Ton père est à l’hôpital. Allez, dépêche toi. On n’a plus le temps là.

Quelque chose s’embrouille dans mon esprit. J’essaye de me souvenir de ce qui s’est arrivé à mon père, et qui l’a conduit à l’hôpital. Je fais défiler mes images mentales, repense à toutes les situations passées, mais rien concernant mon père. Mon esprit s’agite de plus en plus face à cette information que je n’arrive pas à intégrer.

– Maman

– Oui

J’arrive sur le pas de la cuisine, face à ma mère.

– Il est pas à l’hôpital, Papa.

Peu à peu, mon brouillard intérieur se dissipe.

– C’est toi qui est morte.

Et du tac à tac, fusant comme une flèche, la réplique de ma mère ne se fait pas attendre.

– T’en as pas marre de tes conneries ! On n’a pas que ça à faire, allez file t’habiller pour qu’on aille voir ton père. On va être en retard après.

Et tout en m’engueulant, elle continue à touiller. Je crois qu’elle prépare des aubergines.

Puis ce fut le réveil. Ce retour rapide dans cet univers que l’on appelle réalité.

Je suis dans mon lit, à Pantin.

Mélanie dort à côté.

Par chance, le souvenir de ce rêve reste entier. Les détails, les couleurs, la voix cinglante et sarcastique de ma mère, l’odeur de la cuisine.
Toutes les sensations sont là, intactes.

L’enthousiasme m’envahit.

Il faut absolument que je raconte ce rêve.

Je me précipite sur mon téléphone pour partager sans attendre cette histoire délirante.

J’imagine trop la tête de ma mère quand je vais lui raconter que….

Oh…

C’est comme une décharge électrique dans mon corps, suivie d’une sensation de chute vertigineuse. En moins d’une seconde ma joie s’est transformée en terreur.

Mon téléphone en main, je me fige face à ce répertoire où le nom de ma mère ne figure déjà plus.

Cela fait plusieurs mois qu’elle est morte.

Et pour la première fois, je prends conscience qu’elle fait partie des abonnés absents.

Celle avec laquelle j’avais le plus envie de partager ce rêve m’a quitté.

Et elle ne sera plus jamais là pour entendre aucune de mes histoires.

La vie parfois nous éloigne des gens qu’on aime. Un déménagement, un changement de situation, une brouille, ou d’autres priorités qui ne nous donnent plus l’occasion de nous voir autant qu’avant. Pour autant, nous savons que nous avons toujours cette option disponible : les rappeler. Décrocher notre téléphone, leur laisser un message, envoyer un email, ou demander des nouvelles d’eux à des amis communs.

Parfois, il m’arrive encore de rêver de ma mère.

Des rêves dans lesquels je retrouve avec tant de joie et de surprise ce sentiment doux et familier d’un quotidien qui se prolonge éternellement, et d’une relation qui se poursuit au delà de l’espace, du temps et de ma propre volonté. Avant qu’elle ne soit interrompue brusquement par cet implacable rappel à la réalité.

Des fois, j’aimerais croire que cette réalité n’est en fait que mon rêve le plus profond, et que je ne vais pas tarder à me réveiller.

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