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Dans la famille de ma mère, il y avait 4 sœurs : Feriel, Siham, Nabila et Enayat.

Feriel, l’aînée est morte en 2013. Dans son agonie, elle a attendu que ma mère retourne au village avant de s’éteindre. C’était un moment très mystérieux dont je parle dans cet article.

Deux ans plus tard, en 2015 ce fut le tour de Siham, ma mère.

En 2017, je me suis rendu au village au chevet de ma tante Nabila. Elle venait d’avoir 71 ans.

Toutes trois étaient morte d’un cancer à 71 ans.

Lorsque ma tante Enayat m’a dit qu’elle avait 69 ans, je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire cette blague stupide.

– Ah, cool. Il te reste encore 2 ans…

Elle m’a insulté. On s’est marrés. Et puis voilà.

J’ai jamais trop compris pourquoi je supportais pas ma tante Enayat à mon adolescence. Pourtant elle était ma nourrice. C’est elle qui m’avait élevée les deux premières années de ma vie, lorsque ma mère m’avait confiée à elle, alors que je n’avais encore qu’un mois.

Peut-être que je lui en voulais de m’avoir rendu à mes parents, à l’âge de deux ans, et de me faire revivre le sentiment d’abandon. Avec toute la violence de la séparation, et la confusion que cela a du engendrer dans mon esprit d’enfant de voir réapparaitre des parents que je croyais disparus a jamais.

Après la mort de ma mère en 2015,  devant mon incapacité à accepter son décès, je me suis demandé si je n’étais pas en train de rejouer le scénario de cet enfant de 2 ans, qui a fini par croire que même disparue, sa mère pouvait encore revenir.

Mais non, les mamans ne reviennent plus.

Avec le temps, mes relations avec Enayat se sont beaucoup améliorées. Désormais, on parlait régulièrement. Et nous avions prévu de tourner ensemble plusieurs séquences de mon nouveau film.

C’est par téléphone, un matin d’hiver 2022, que j’ai appris son décès.

Un covid mal diagnostiqué, une insuffisance respiratoire non prise en charge par le médecin du village, un transport dans un hôpital public de Sohag dénué d’appareils à oxygène. Et c’est en quarantaine, dans la solitude d’une chambre d’hôpital, qu’Enayat s’est éteinte, sans qu’aucun membre de sa famille n’ait eu le droit de lui rendre visite.

C’était comme un mauvais rêve.

 

– Papa, pourquoi ça te rend si triste la mort d’Enayat ?  Tu la voyais à peine une fois par an.

– Mais je savais qu’elle était là, et que je pouvais l’appeler.

– Et bien, tu n’as qu’a faire comme si tu ne savais pas qu’elle était morte. Ça change pas grand-chose à ton quotidien en fait.

Difficile d’expliquer la mort à une enfant, alors qu’on ne la comprend pas toujours bien soi-même.

Dans mon enfance, les morts, c’était surtout des lettres venues d’Égypte qui annonçaient le décès de gens dont j’oubliais aussitôt l’existence, pour retourner à mes jeux et à mes lectures.

Ce n’est qu’au début de ma cinquième décennie que j’ai réellement éprouvé physiquement le sens de la mort, et de ce que signifiait vivre la perte.

J’ai hésité à retourner au village, et faire face à cette terrible réalité.

J’ai retrouvé la maison familiale vide.

Et  j’ai pleuré le perte d’Enayat qui me laissait désormais orphelin. Elle que je voyais si peu et qui avait pourtant joué, sans que je m’en rende compte,  un rôle si fondateur dans ma vie.

Elle que je croyais sans doute éternelle.

Mais elle aussi ne reviendra plus.

– Promets nous que tu reviendras, Namir. Tu es chez toi, ici, ne l’oublie pas. Même si plus personne n’habite dans la maison, on la nettoiera régulièrement pour que tu puisses y venir. Tu nous le promets ?

J’ai promis, voulant sans doute y croire. Puis j’ai dit au revoir à la maison familiale, à mes cousins,  et à ce passé dont il ne resterait bientôt plus de trace, hormis dans ma mémoire vieillissante.

A l’approche de mes cinquante ans, je me sentais rentrer dans un hiver sans fin, qui a emporté avec lui toutes mes figures maternelles.

C’était sans compter sur le printemps qui frissonne toujours dans la profondeur de nos larmes.

Je me suis souvenu que j’en étais la preuve vivante. Il parait que c’est en cherchant à consoler ma mère de la perte de son grand-père, que mes parents m’ont conçu. Tu peux en savoir plus ici.

Retrouver les habitants du village, pleurer dans leurs bras, visiter les champs, évoquer ma tante,  et dire au revoir à la maison m’avaient fait énormément de bien.

Cette  nuit, j’ai fait un rêve.w

Au petit matin, j’ai demandé à mes cousins d’acheter quatre arbres fruitiers.

Un figuier, un goyavier, un manguier et un citronnier

Pour Feriel, Siham, Nabila et Enayat.

Mes cousins m’ont prévenu.

– Des fruitiers ? Mais les gosses du village vont voler tous tes fruits

Je m’en fichais totalement. A vrai dire, j’étais même content de savoir que ces fruits de nos larmes nourriraient d’autres vies, et que la mémoire de nos morts rendrait des enfants heureux.

Alors, nous avons mis nos mains dans la terre, et nous avons creusé ensemble.

Et en guise de sépulture, nous avons planté quatre arbustes dans les champs.

Cet été avec mes enfants, nous retournerons au village.

Nous verrons bien s’ils ont donné des fruits.

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Et jette un oeil à ces deux articles là :

2 réponses
  1. Anna g
    Anna g dit :

    Merci Namir pour tes superbes articles, tes partages, et les bouts de toi que tu nous offres, et qui me permettent de saisir des bouts de moi

    Répondre

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